En pleine guerre économique, c’est aujourd’hui sur le front social que se mènent les batailles. Dans leurs tranchées, les salariés se défendent comme ils peuvent d’un patronat qui, lui, a pourtant ouvert les hostilités. Le parallèle est osé ? C’est vrai. Mais ce sont les patrons qui le font !
15%, c’est la rentabilité demandée par les actionnaires aux entreprises cotées en Bourse. 15% de plus, tous les ans, ça a forcément un coût social ! Les salariés des grandes SSII en savent quelque chose, eux qui le paient tous les jours. C’est que leurs dirigeants, en véritables officiers, ont élaboré une stratégie implacable.
C’est « l’effet de noria » que ça s’appelle. Je l’ai découvert récemment, lors d’une journée d’études à la fédération CGT des sociétés d’études. Ce jour-là a été remis un rapport du cabinet Secafi qui fait une « étude sur l’emploi, les salaires et les conditions de travail dans les SSII ». Une vraie bombe pour qui veut décortiquer le petit monde des grandes SSII.
« L’effet de noria (…) correspond à un allègement de la masse salariale suite au remplacement d’un collaborateur par un jeune embauché aux qualifications équivalentes mais dont la rémunération est inférieure », explique Jean-Camille Gallay, le rapporteur, dans son chapitre consacré à « L’impact de la crise sur le nombre des emplois informatiques. » En clair : on vire les vieux et leurs gros salaires, pour les remplacer dard-dard par des petits jeunes sous-payés. Rien de nouveau à l’horizon ? C’est vrai. Sauf que cette logique et cet « effet de noria » dont on vient d’avoir la définition socio-économique a, avant tout, une définition militaire.
Il faut remonter pour cela à la Première guerre mondiale. Du 21 juin au 24 octobre 1916, très exactement. 250.000 soldats sont tombés à la bataille de Verdun, des jeunes en grande majorité. « Verdun est la seule bataille à laquelle presque tous les soldats aient pris part (à l’époque) », rappelle Antoine Prost, professeur émérite à l’Université Paris I (Panthéon Sorbonne), dans un document du mémorial de Verdun (cf « Verdun, symbole de la Grande Guerre ?« ). Il explique ainsi que le patron de l’armée, Pétain, a tenu au principe de noria qui était de remplacer chaque troupe engagée une fois sur le front par de la chair fraîche. Le but ? « que les hommes ne remontent pas en ligne là où ils laisseraient forcément nombre de leurs camarades », explique le professeur.
« (…) sous le double effet de la croissance des effectifs des SSII par embauche de jeunes diplômés et le « remplacement » de confirmés qui quittent les SSII (…) par des plus jeunes moins expérimentés mais aux salaires plus faibles, les SSII ont pendant longtemps réussi à maintenir un âge moyen de 36 ans et du même coup à contenir la progression de leur masse salariale en deçà de la progression de leur activité », conclu Secafi. L’application de l’effet de noria en entreprise est troublante.
« Adieu la vie, adieu l’amour, adieu les femmes,/ C’est pas fini, c’est pour toujours de cette guerre infâme. / C’est à Verdun, Douaumont ou Vaux / Qu’on va laisser sa peau, / Car nous sommes tous des condamnés, / C’est nous les sacrifiés. », chantaient leurs aïeux en partant au front. Les « sacrifiés » de la guerre économique avec leur diplôme accroché au ceinturon savent maintenant à quoi s’en tenir.
Bravo ! J’aime beaucoup l’illustration !!
Je précise l’illustration du head…