
Les quatre larrons de Sogeti déclamaient le slogan : "Sogeti, so agile". "Sauf sur scène", pourraient-ils ajouter
L’Agence pour l’emploi des cadres (APEC) organisait aujourd’hui la quatrième édition de Cadres&Co, « le salon de votre évolution professionnelle à Toulouse ». Peu avares en communication, les SSII étaient largement représentées. Reportage.
Le parking de Diagora-Labège était plein à craquer en milieu de matinée : les cadres toulousains semblent s’être déplacés en masse pour participer à cette édition de Cadres&Co. Certains se sont déjà inscrits et vont pouvoir, munis de leur badge à code barre, passer des entretiens. Les autres récupère le leur à l’entrée pour pouvoir accéder aux stands.
47 exposants pour près de 1 000 offres d’emploi assure l’organisateur, et beaucoup de SSII : Akka Technologies qui se trouve en plein conflit social, Assystem qui a connu sa première grève toulousaine il y a deux mois, Altran et sa responsable RH qui assume la régie, Sopra Group où le chef de projet Philippe Tabes évolue parmi ses ouailles après avoir perdu son sang froid devant les étudiants de Paul-Sabatier l’année dernière, GFI, Atos-Origin, etc. ça sent la récupération de CV à plein nez…
Les cadres au salon
L’Apec qui est « une association paritaire gérée par le Medef et les cinq organisations paritaires », explique Jean-Sébastien Fiorenzo, son responsable régional, a mis les petits plats dans les grands pour « accompagner les cadres dans leur vie professionnelle ». Espace conseil où des agents orientent les candidats, espace recrutement où, dans des bureaux agencés comme au Pôle-Emploi, ils passent des entretiens, fontaines à eaux, stands des entreprises et conférences. Rien ne manque.
Sogeti, so illégal
Sogeti, la fililale low-cost de Capgemini organise d’ailleurs une conférence sur le thème : « Etre ingénieur chez Sogeti ». Quatre salariés tente une présentation à la Steve Jobs, mais sans l’aisance du patron d’Apple. Sébastien déblatère sur les valeurs du groupe où la « passion, c’est l’image qu’on essaie de véhiculer auprès de nos clients », être agile se résume pour lui à « être flexible » et l’expertise sans quoi « on ne pourrait pas développer ce business. » Son comparse Yohann enchaîne sur l’ « organisation sourcing » où, dit-il, « on peut aller de la régie à l’offshore. » En clair, être ingénieur chez Sogeti c’est soit être exploité sous un contrat illégal, la régie, soit faire ses bagages pour l’Inde. Mais, « on s’appuie sur des méthodologies agiles », poursuit-il avant de lâcher son slogan : « Sogeti, so agile ! »
Le troisième larron prend le micro pour s’empêtrer dans le Cloud, notion qu’il ne semble pas maîtriser : « avec le Cloud, on ne sait plus où la donnée est gérée », lance-t-il avant de se rattraper : « mais elle est gérée de façon professionnelle ! » Régis, spécialiste du test, assénera le dernier slogan : « Rejoindre Sogeti, c’est rejoindre une vraie communauté ! » Rien sur les salaires, la formation, la vie sociale chez Sogeti, etc.
Un nouveau concept marketing : le handicap
Beaucoup de stands, dont ceux des SSII, avaient un petit panneau bleu à côté de leur nom : « Handi-recrutement ». Un appel aux personnes handicapées qui sauraient trouver là une écoute particulière à leurs problématiques dans l’emploi. Enfin, pour la théorie. Car, dans la pratique, c’est plus compliqué. Michel et Pierre-Damien font une pause café-clope au soleil. Ils sont venus de Pau pour assister à l’événement : « j’ai déposé quelques CV, notamment dans des SSII, explique Pierre-Damien, mais je ne me fais aucune illusion. » Avec son diplôme d’ingénieur en poche et huit mois de chômage, seul Décathlon vient de lui proposer un entretien pour être responsable de rayon à Rodez : « C’est pas vraiment ce que j’espérais », conclu-t-il passablement dégoûté.
Michel, lui, a 30 ans et une formation Bac+2 en technicien réseaux et il sent l’entourloupe : « les entreprises semblent faire des CVthèques, c’est le principe de forums. On se demande si ce n’est pas pour faire parler d’eux. » Il vient de déposer des CV aux SSII mais « je suis TH (travailleur handicap, NDLR), ça fait pas avancer le schmilblick ! La première question que m’a posé Sogeti, c’est si j’avais besoin d’un poste aménagé. » Effectivement, il y a mieux comme entrée en matière. Le jeune homme poursuit : « on a mis en place un système de discrimination positive au handicap. Mais, c’est beaucoup de battage pour rien ! On se rend compte qu’une fois qu’ils ont atteint leur quota pour ne pas payer l’amende, ils ne vont pas plus loin. » A aucun moment sur les stands Michel n’aura eu l’accueil spécifique espéré par la présence du petit panneau « Handi-recrutement ».
L’Apec au rapport
L’Apec semble donc cautionner tout un tas de choses tout à fait anormales en organisant un tel événement avec des entreprises qui évoluent en dehors de la légalité. Je reviens donc vers Jean-Sébastien Fiorenzo en lui demandant si l’Apec était attachée au respect du Code du Travail. Un « oui ! » franc et massif m’est répondu. Je lui demande alors : « comment se fait-il que vous conviiez des entreprises comme ces SSII qui prônent publiquement en conférence la mise en régie, illégale, et qui ne respecte pas le processus handi-recrutement ? » Le responsable de l’Apec me répond derechef : « on ne peut pas être derrière chaque entreprise et on fait le mieux pour que tout soit respecté et que ce ne soit pas du pipeau (concernant le handicap, NDLR). Mais sur le sujet de la régie, appelez le service de presse, il saurons mieux vous répondre », conclu-t-il. Réponse décevante de la part d’un responsable d’une telle institution où l’un de ses agents, sur le pôle « réseaux sociaux », s’est fait le VRP de Viadéo, le Facebook professionnel. A une personne qui lui demandait combien il en coûtait pour accéder à la totalité des merveilleux services qu’il vantait, il a demandé : « Combien d’entre vous fument ? Car Viadéo, c’est le prix d’un paquet de cigarettes par mois, cinq euros ! » Il aurait été bien d’avoir des agents aussi diserts sur un pôle « droit du travail »…
L’armée en renfort
Alors que tous les acteurs semblent baisser les bras dans cette guerre sociale menée par le patronat, je me réfugie sur le stand de l’Armée de Terre essayant de me faire des alliés. J’espère toucher la fibre patriotique du Capitaine Carrière, responsable recrutement, en lui expliquant qu’il est entouré de stands ennemis qui ne respectent pas le Code du Travail de notre pays. Un soufflement complice de sa part me laisse entendre que je ne lui apprends rien. Dans ses troupes, ça ne rigole pas ! Les cadres sont enrôlés de Bac+3 à Bac+5 au grade d’officiers. « Et on leur donne une certaine autonomie qu’ils n’ont pas dans le civil », assure-t-il. Après trois mois de formation militaire où ils touchent 1 400 euros, « ils passent directement à 1 700/1 800 euros plus des primes. Chez nous, il n’y a pas différents salaires », admet-il. Je lui propose donc un plan d’attaque faisant appel à son expertise militaire : « si on appelle vos collègues, on pourrait très vite bloquer tous les accès du salon et ainsi retenir les DRH des SSII. On les relâcherait une fois qu’elles seraient rentrer dans la légalité. » L’idée semble lui plaire : « On pourrait le faire », me glisse le gradé. Le Syntec numérique n’a qu’à bien se tenir !