L’informatique, porte d’entrée du privé

Les bâtiments du CNRS de Montpellier

La recherche française subit elle aussi les assauts des restructurations avec la menace du démantèlement des établissements publics à caractère scientifique et technologique (EPST). Cas d’école avec le CNRS de Montpellier où la privatisation passe par une externalisation de l’informatique.

Article publié sur le site de Friture, média des possibles dans le Grand Sud,  dans le cadre d’un dossier sur la réforme de l’université.

Le CNRS, l’Inria, l’Inserm, le Cemegref et l’IRD sont des établissements publics à caractère scientifique et technologique (EPST) dont l’organisation est remise en question. Les syndicats s’inquiètent des restructurations en cours et de l’externalisation de certains métiers, dont ceux de l’informatique. Ainsi, un communiqué commun en soutien aux personnel du CNRS de Montpellier, relayé par le réseau Sauvons l’université, rappelle la demande faite le 22 octobre 2010 à l’inspecteur général de l’administration par François Fillon. Le Premier ministre lui demandait d’examiner « l’efficacité et l’efficience des fonctions supports des organismes suivants : l’Inra, le CNRS, l’Inserm, l’Inria et le Cirad ». Par exemple, au CNRS, les délégués régionaux devaient faire remonter les informations le 7 janvier dernier concernant « la description du potentiel en ressources humaines de l’établissement sur les principales fonctions supports ».

Les fonctions dites supports concernent essentiellement l’informatique qui gère au quotidien les réseaux des EPST. « Et avec la RGPP (révision générale des politiques publiques, ndlr), ils les compressent ! », s’indigne Josiane Tack du SNTRS-CGT du CNRS de Montpellier. Les syndicats lancent donc un cri d’alarme : « Ainsi la politique conjuguée de la révision générale des politiques publiques (RGPP), de la rigueur budgétaire et du grand emprunt (…) aura pour conséquence une restructuration de toute la recherche publique avec des « mutualisations », externalisations et suppressions de postes. Elle s’accompagnera d’une augmentation de la précarité, d’une paupérisation croissante de nombreuses équipes et de l’abandon de champs disciplinaires ne rentrant pas dans le cadre étroit du pilotage par les appels d’offre. » Une crainte déjà concrétisée comme l’explique Josiane Tack : « Je travaille dans un laboratoire de géologie à l’université de Montpellier. La politique, c’est de mettre l’argent sur des grands projets en dépouillant les laboratoires qui ont des soutiens de base dont la moitié a été perdue en trois ans. Les chercheurs n’ont d’autre choix que d’aller chercher de l’argent en répondant aux appels d’offres comme l’Idex. S’ils le décrochent, ça reste pour eux et l’argent n’est pas redistribué. On met donc des gens en compétition et à très court terme, on n’aura plus les moyens de travailler. » Et en tant qu’informaticienne, Josiane Tack est aux premières loges de la réorganisation.

Les services informatiques des EPST semblent la porte d’entrée de la privatisation de la recherche française. Dans un document (« Évolutions de la structuration es ressources informatiques dans les EPST : comment les réorganisations en cours préfigurent une externalisation massive de l’informatique »), les syndicats ont constaté que dans les EPST : « les postes d’informaticiens “de terrain“ que sont les ASR (Administrateurs de systèmes et réseaux) sont les premiers dans la ligne de mire des restructurations ». Tout commence en 1993 avec une application brutale pour les personnels : « la précarisation s’accompagne, dès 1993, de méthodes douteuses de gestion du personnel, fondées sur le jeu de la carotte et du bâton : mutations arbitraires, pressions sur les primes pour les fonctionnaires et sur le renouvellement des contrats pour les CDD, sans jamais de traces écrites ». En clair, la direction du CNRS applique les méthodes du privé avant de lui en confier une partie de son informatique. En 1997, des sociétés de services informatiques – Stéria, C.G.I. et Sopra – décrochent trois marchés de soutien. « Cette sous-traitance vise, selon les termes mêmes de F. Vadrot, directeur du service, “à externaliser la réalisation, l’exploitation courante et la maintenance des applications dont la DSI (Direction du système d’information, ndlr) a la responsabilité ». Les personnels dont le travail a été sous-traité sont alors réaffectés en interne sur d’autres fonctions et ceux en CDD sont remerciés.

Les données des salariés du CNRS sous-traitées à l’étranger

La sous-traitance n’a pas que des effets sur le personnel. Les tâches sous-traitées impliquent qu’un ensemble de données du CNRS se retrouvent dans les mains du privé. Ainsi, le 17 décembre 2009, le CNRS a attribué la maintenance et l’infogérance de son système d’information à Capgemini, Logica et Bull pour un contrat total de 48 millions d’€. Ces sociétés se retrouvent avec toutes les informations relatives à la comptabilité, au budget, aux paies et aux salariés. Le SNTRS-CGT s’en est ému titrant un communiqué ainsi : « Le CNRS délocalise les données personnelles de ses salariés à l’étranger ! ». Ces entreprise ont effectivement des filiales au Maroc, ce qui a même été une condition d’attribution du marché d’après les syndicats. « Il s’agit d’une décision inédite qui permet de sortir du pays les données personnelles de 32 000 salariés gérés par l’État », assure le SNTRS-CGT. Le CNRS, premier organisme public de recherche, est précurseur en la matière s’agissant de personnel de la Fonction Publique. Le syndicat s’inquiète donc légitimement : « Faut-il menacer l’intégrité du patrimoine français, au nom de la réforme de l’État ? ». Pour lui, « cette logique met en cause la sécurité nationale ».
Tout comme l’enseignement supérieur, la recherche est donc sommée de faire des économies et de se réorganiser en faisant toujours plus appel au privé. Une application mettant en péril l’essence même d’un secteur qui fait figure de trésor national.

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A propos Nicolas Séné

Nicolas Séné, journaliste indépendant spécialisé dans les questions sociales, a recueilli une foule de témoignages. Il démontre, exemples vécus à l’appui, comment les cadres des SSII sombrent d’année en année dans un marasme professionnel, moral et personnel de plus en plus profond. Un malaise nouveau, typique du capitalisme actuel, dont personne ne semble avoir encore pris la mesure.
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Un commentaire pour L’informatique, porte d’entrée du privé

  1. salarié_capgemini dit :

    Chez Capgemini Maroc, nos collègues n’ont pas le maintien du salaire en cas d’absence maladie ou de congé maternité. Elles et ils ne touchent que 1/2 salaire et trois mois aprés.

    A Casanearshore nos collègues marocains malades viennent quand-même travailler, même en cas de maladies graves. Sinon pas de rémunération.

    Quand l’Etat délocalise des projets informatiques, il encourage les ssii à faire du dumping social.

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